Semaine 15
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Il fallait en finir, avant que s’allume la première lampe annonçant le sabbat. Ils n’avaient pas eu besoin de lui briser les jambes, comme aux deux autres : Jésus était déjà mort. Mais pour s’en assurer, l’un des soldats lui perça le coté d’un coup de lance. Et ils restaient là, à regarder le coté ouvert, le sang et l’eau. … Et comme « ils regardaient celui qu’ils avaient transpercé », quelque chose tout à coup se brisait dans leurs esprits. Quelque chose comme une immense déchirure. C’était comme le voile du Temple qui se déchirait par le milieu, de haut en bas … Et au-delà du voile, ils contemplaient, sans encore le savoir, le mystère de l’Amour. La façon dont cet homme était mort en pardonnant à ses bourreaux, en confiant sa mère à son disciple, en donnant espoir à son compagnon d’infortune, brisait leur cœur de pierre. « A la vue de ce qui s’était passé, ils furent saisis d’une grande frayeur, et le centurion glorifiait Dieu en disant : Sûrement, cet homme était un juste. » (Lc 23, 47) Un juste, un ami de Dieu, un fils de Dieu.
Dans sa conscience de romain, peu rompu à la théologie, cet homme disait avec ses mots ce que son cœur pressentait. Il regardait celui qui avait dit : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » Il était là, avec sa lance et son casque, à coté de la petite escouade qui, après s’être joué de ce soi-disant roi des Juifs avec un sceptre de mascarade, venait d’accomplir sa sale besogne. Ils l’avaient crucifié, comme un dangereux agitateur politique au milieu des quolibets : « Si tu es le fils de Dieu, descends de la croix et nous croirons en toi ! ». Et ils avaient, selon leur coutume, partagé ses vêtements. Comme sa tunique était d’une seule pièce, tissée peut-être, avec quel soin, par sa mère, ils l’avaient tirée au sort. Il était là, profondément remué, la tunique à la main.
Et maintenant, après l’ébranlement des éléments, après les cris et les ricanements, un grand silence se faisait : à coté de Marie et du disciple, debout, entourés par une foule sidérée, le centurion serra sous son bras la tunique sans couture, et murmura plusieurs fois : « Cet homme était fils de Dieu ! » Et il se laissa saisir par un sentiment tout nouveau, qui n’était encore jamais monté à son cœur d’officier romain, le sentiment d’une force douce, d’un royaume plus puissant que la force brutale de l’Empire. Un royaume d’une humble douceur …
Rentrant chez lui, le visage pensif, il remuait tous ces évènements dans son esprit. Lui le centurion qui avait dirigé l’exécution sans états d’âme, était pris d’une vive émotion. Et la tunique sans couture tâchée de sang était dans sa main d’une douceur infinie. Et il se disait qu’il faudrait du temps, beaucoup de temps, pour qu’il se désarme et que la déchirure de son cœur cicatrise. Toute une vie peut-être …
Toute une vie peut-être, comme le reconnaissait le patriarche Athénagoras lui-même : « Il faut mener la guerre la plus dure qui est la guerre contre soi-même. Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible. Mais maintenant, je suis désarmé. Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres… Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, mes projets. Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non pas meilleurs mais bons, j’accepte sans regrets. J’ai renoncé au comparatif. Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur. »
Quand devant Jésus en croix, on se laisse désarmer, un temps neuf nous est donné où tout est possible. Voilà ce que pressentait notre centurion : un temps lui était donné où Dieu ferait toutes choses nouvelles. Par la passion et la résurrection du Christ, une vie nouvelle s’ouvre à moi. Je parle à Dieu, en confiance, de cette vie qu’il m’a donnée, ou que je lui demande.