2, C'est quoi la question ?
Peut-on faire le bonheur d’autrui ?
― Dominique, Olivier et Gabriel
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Peut-on faire le bonheur d’autrui ?

Après nos émissions : que peuvent les mots ? l’ignorant peut-il être heureux ? l’art peut-il changer le monde ? pour pouvoir vivre en société, faut-il ne plus penser à soi ? pourquoi adorons-nous les ragots ? voici les trois compères Olivier L’Hostis, Gabriel Sebban et votre serviteur, Dominique Desmichelle, réunis à nouveau ; ils vous proposent aujourd’hui une question qui me semble ouvrir à de grandes profondeurs de sens : peut-on faire le bonheur d’autrui ?

 

Ecoutez le podcast (1h)

Le bonheur : vaste question dès qu’il s’agit de la définir : un état de satisfaction durable, complet ?

Le bonheur : vaste question

Nous connaissons l’amour souvent inconditionnel des parents vis-à-vis de leurs enfants, la présence généreuse auprès d’un proche, d’un ami, d’un vulnérable, la rencontre d’un prof, d’un maître qui vont déterminer une partie de notre vie ; ces rencontres contribuent largement à notre bonheur ou à celui de l’autre, quand bien même cela semble arriver par hasard.

Pourtant l’amour parental est parfois dévorant, le don peut cacher une prise d’intérêt, une influence se révéler une prise de pouvoir…

Et puis, chacun n’a-t-il pas le sentiment que le bonheur dépend d’abord de nous au moins en partie, tout en reconnaissant qu’il est très dépendant de notre entourage humain ?

Reprenons la question ; peut-on faire le bonheur d’autrui ? Peut-on… est-ce possible ou… est-ce légitime ? Faire, c’est-à-dire en être la cause ou du moins y contribuer ? Le bonheur : vaste question dès qu’il s’agit de la définir : un état de satisfaction durable, complet ? Camus disait : le bonheur n’est-il pas la simple adéquation / l’accord entre le projet d’un humain et la vie qu’il mène ? Mais où est l’autre ? dans le projet ? Autrui ? mais qui est cet autrui qui n’est pas moi ? celui dont je souhaite le bonheur ou un collectif qui me touche ?

Etymologiquement, le bonheur est la bonne fortune : il faut donc de la chance pour y accéder (santé, sécurité, éducation, possibilités de développer ses capacités…). Cependant, au-delà des contingences extérieures, chacun sent que ce bonheur est aussi très lié au regard que nous posons sur nous-mêmes et à celui que les autres portent sur notre condition de vivant. L’autodidacte peut avoir le sentiment qu’il ne doit son bonheur qu’à lui-même. Mais être heureux peut-il se concevoir autrement que dans le lien à l’autre ? Et qui est donc ce « on » qui aspire à faire le bonheur de l’autre ? Faut-il par exemple déterminer ceux auxquels il est possible de se fier pour être heureux ?

Peut-on prendre en charge une partie du bonheur d’autrui ?

Les dérivés du bonheur

Dans « Le Meilleur des mondes » (1932), Aldous Huxley décrit une société artificiellement dévolue au plaisir en continu et il y dénonce la confusion entre le plaisir et le bonheur ; il annonçait les dérives d’une société aliénée par la quête exclusive, illusoire, marchandisée de plaisirs vains (les passions tristes de Spinoza). A l’opposé, « Cyrano de Bergerac » ne peut séduire Roxane mais il offre ses talents oratoires à Christian : Cyrano fait le bonheur de ce dernier en sacrifiant le sien. Dans « Citizen Kane », Orson Welles raconte la vie d’un self-made-man milliardaire mais immoral qui meurt seul et malheureux avec comme maigre consolation le traineau de son enfance : on ne peut être heureux sans le souci de l’autre ? Dans ses « Propos sur le bonheur » (1928), le philosophe Alain parle de l’enfant qui est heureux de jouer seul dans sa chambre : mais n’en-est-il capable que parce qu’il est aimé ?

Alors, reformulons la question : peut-on prendre en charge une partie du bonheur d’autrui ? Ce « on » pouvant être une personne, une famille, un groupe plus large, l’Etat ? Saint-Just disait : « le bonheur est une idée neuve en Europe ».

Nous pourrions réfléchir à la place de l’Etat par exemple : Tocqueville disait qu’avec l’avènement de la démocratie, le gouvernement prenait la place de la providence ; le plus d’Etat a pu être largement apprécié pendant la crise de la Covid, non ? Mais répond-il au bonheur ? le citoyen a-t-il « droit » au bonheur ? l’Etat-providence ne risque-t-il pas de décréter des critères pour le bonheur ? Pour échapper à un risque de paternalisme, ne faut-il pas que chacun choisisse ce qui peut le rendre heureux ? Mais alors, n’est-il pas absurde de vouloir faire le bonheur d’autrui ? et dans cette perspective, ne risque-t-on pas d’attendre trop des autres et de n’y jamais goûter ?

Savons-nous ce qui contribue au bonheur de l’autre ?

Une autre approche pourrait consister à penser que le meilleur moyen de contribuer au bonheur d’autrui est d’être heureux soi-même. Cela pourrait presque même être, comme le dit Alain, le premier de nos devoirs ? A parents heureux, enfant heureux ? Cyrano, heureux, par procuration ? Sublimation ?

Mais vouloir faire le bonheur des autres en se préoccupant du sein, n’est-ce pas risquer de susciter l’amertume, l’envie, la jalousie ?

Passer du temps à jouer avec un enfant lui apporte souvent plus de bonheur qu’un cadeau coûteux. Prendre une soirée avec des amis contribue souvent plus au bonheur des participants qu’une consommation de marchandises.

Finalement, savons-nous ce qui contribue au bonheur de l’autre ?

Mais tenter d’y être très attentif ne contribue-t-il pas à nous rendre nous-mêmes plus heureux ? Le don et la générosité ne sont-ils pas de gros contributeurs au bonheur ? N’y aurait de bonheur que partagé ? L’histoire de l’aventure amoureuse n’en témoigne-t-il pas ?

Alors, peut-être que nul ne peut prétendre faire le bonheur de l’autre, mais chacun, par sa présence, son attention, son amour pour l’autre, ne peut-il pas contribuer à accompagner et le bonheur de l’autre et son propre bonheur ? Le bonheur ne saurait-il se concevoir qu’avec l’autre ?


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