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LE COMBAT DE CARNAVAL ET CARÊME, Pieter Brueghel l’Ancien (c. 1525-1569) 1559, Kunsthistorisches Museum, Vienne
Vivre en société : vivre, c’est exister, mais est-ce vivre bien ou survivre ? être en lien avec ses en-envies, son désir propre et inscrit dans une vie ?
En société : donc pas seulement seul mais avec l’autre, avec un collectif social et économique, dans un espace politique où chacun cherche et doit idéalement trouver sa place ?
Faut-il : est-ce une obligation, une contrainte ? ou une invitation pour y vivre au mieux ? Cela fait beaucoup de questions.
Il faut compter sur soi !
Nous savons que trouver sa place dans la société nécessite de compter avant tout sur nous-mêmes. Nous avons le plus souvent faire l’expérience que, pour acquérir un savoir, une compétence, un métier puis un job avec la nécessité de négocier un contrat de travail, il faut s’y mettre. Si nous ne pensons pas à nous, personne d’autre ne le fera sauf peut-être quand nous serons au bout du rouleau, et encore. Et puis, ce ne sera alors probablement plus vivre en société. De plus, la concurrence entre les personnes est au cœur du marché, en particulier celui du travail. Il faut donc compter sur soi !
A contrario, vivre en société implique de tenir compte des autres ; on ne peut être réduit à une vie de compétition et de rivalité permanente. Une société au sein de laquelle, chacun ne penserait qu’à lui semble vraiment impensable et serait à l’évidence invivable. L’égoïsme est d’ailleurs perçu comme un défaut et l’altruisme comme une qualité, ce qui prouve bien qu’un devoir moral collectif nous habite.
La question qui se pose serait-elle alors celle d’un équilibre entre se préoccuper d’autrui et lâcher certains de nos intérêts privés en vue d’un profit plus large ?
Nous savons que les enfants apprennent tôt à comprendre, à écouter, à tenir compte des besoins de leurs proches ; ils sont porteurs d’une empathie qui les invite à ne pas penser qu’à eux. Nous savons tous qu’il y a souvent plus de plaisir – en fait de bonheur – à donner qu’à recevoir.
Mais la société est faite d’échanges permettant une vie collective la plus harmonieuse possible. L’échange choisi ou seulement consenti est aussi un rapport de forces où chacun est au minimum attentif à son intérêt personnel et au maximum désireux d’accumuler avoir et pouvoir.
Le Contrat Social ne saurait tenir si l’on exige des hommes qu’ils sacrifient leurs intérêts propres.
J’avais été un peu long les dernières fois dans mes introductions. Je fais plus court. Et je cite quelques penseurs
Aucune société ne saurait exister si les hommes ne pensent qu’à eux
Vivre en société, ce serait donc vivre avec les autres ? Et aucune société ne saurait exister si les hommes ne pensent qu’à eux ?
Dans ce registre de l’exigence morale indispensable au vivre ensemble, Levinas a poussé très loin la loi morale. Pour lui, le visage de l’autre, cette part de lui toujours découverte, nue et éminemment vulnérable, nous commande, nous impose le respect. Toute relation, tout vivre ensemble est d’emblée éthique. Pour vivre, pour vivre avec l’autre, nous ne pouvons faire autrement que de sortir du centrage exclusif sur soi pour tenir compte d’autrui. Faut-il pour autant tout sacrifier pour ne plus penser qu’aux autres et au bien commun ? Sur le plan psychique, l’écoute de soi et l’écoute de l’autre ouvre au questionnement éthique puis à l’émergence de la morale (Ricoeur).
Alors que dire pour ne pas trop bavarder ? La générosité s’arrête là où commence l’oubli puis rapidement le mépris de soi-même. De plus une générosité sans limite place de facto l’autre dans une position d’enfant : je te donne tout, dit la « bonne mère » : prends le lait de mon sein sans limite ! Ces mères sacrificielles ne favorisent pas l’autonomie de l’enfant ; comme le Père Goriot, elles en meurent.
En conclusion, vivre en société, serait-ce donc penser aux autres et au bien commun comme condition du contrat social, mais, ce faisant, ne serait-ce pas en même temps, satisfaire ses propres intérêts et devoirs ?